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Le vétiver : une palette de senteurs végétales
Le vétiver : une palette de senteurs végétales

Le vétiver : une palette de senteurs végétales

Connu et utilisé depuis l’Antiquité, le vétiver (ou vetyver) est une plante vivace originaire du Sud de l’Inde dont le nom est dérivé du mot tamoul « vettiveru » (langue du Tamil Nadu). Ce sont les Indiens qui ont été les premiers à reconnaître les propriétés aromatiques et médicinales du vétiver, comme l’attestent d’anciens traités ayurvédiques rédigés en sanskrit aux environs de l’an 1000 avant JC.

Dans la palette du parfumeur, le vétiver (Vetiveria zizanioïdes de la famille des Graminées) est souvent associé aux précieuses matières premières que sont le jasmin, la rose, l’ylang-ylang, le néroli et le patchouli.

Qu’est-ce que le vétiver ?

Jusqu’au siècle dernier, cette plante aromatique tropicale reste largement méconnue en Occident en-dehors du monde de la parfumerie. En effet, le nom « vétiver » est apparu dans la langue française seulement au début du XIXème siècle. C’est une époque importante car, en 1809, la première analyse chimique de l’huile de vétiver a été effectuée en France sur des extraits de racines importés de l’île de la Réunion, alors appelée l’île Bourbon.

Il s’agit d’une plante herbacée de 1.5 à 2 m de haut avec des feuilles longilignes, étroites et luisantes, et dont les racines enchevêtrées et denses se développent verticalement jusqu’à 3 m de profondeur. Les racines ou rhizomes contiennent une résine, s’apparentant à celle de la myrrhe, qui sera traitée pour donner l’huile essentielle de vétiver. Parmi la douzaine d’espèces de vétiver, on trouve une très grande diversité dans les schémas de développement de la plante, dans l’orientation et l’épaisseur de ses racines. Le vétiver pousse sur les sols humides, dans les plaines tropicales et subtropicales, particulièrement au bord des rivières et sur les terrains marécageux, résistant aussi bien à des périodes de sécheresse qu’à des inondations prolongées (pendant la mousson). On appelle sa récolte les « fouilles » car on doit retourner la terre pour en extraire les racines qui seront ensuite distillées pour en révéler le parfum.

La distillation de la « cuite »  dure plus de 24 heures et nécessite une grande quantité d’eau. Elle s’effectue du mois d’août jusqu’au mois de décembre, un an après la plantation. Les rendements sont très variables d’un pays à l’autre.

Après distillation à la vapeur d’eau des rhizomes lavés, coupés et séchés au soleil, la racine de vétiver fournit une essence résineuse très épaisse, de couleur jaunâtre. Sa senteur est fine et complexe : boisée, aromatique, verte, quelquefois légèrement fumée, et très persistante. L’huile essentielle de vétiver est l’une des senteurs les plus boisées des plantes à parfum. Combinée à d’autres ingrédients, elle permet de mettre en valeur certaines notes florales ou chyprées et agit comme un excellent fixateur pour les composants volatils.

Origine du vétiver

En parfumerie, on utilise trois variétés différentes de racines de vétiver : le vétiver Bourbon (considéré comme de qualité supérieure), le vétiver d’Haïti et le vétiver de Java, appelé « akar wangi », racine odorante.

Originaire à l’état sauvage d’Indonésie et de la péninsule de l’Inde (où il est décrit  sous le nom de « khus khus » ou « khus oil » depuis plusieurs siècles), le vétiver pousse dans la plaine indo-gangétique (Nord de l’Inde, Bangladesh) et abondamment dans les états du Sud : Kerala et Tamil Nadu occidental. Cette plante aromatique a été cultivée dans l’île de la Réunion à partir de 1900 pour son utilisation dans l’industrie de la parfumerie car la qualité  de l’huile essentielle du « vétiver Bourbon » était reconnue comme la meilleure du monde.

Le vétiver Bourbon se distingue par ses aspects terreux, racine, épicé, cuiré, noisette, avec une facette légèrement rosée, tandis que le vétiver de Java est terreux, amer et fumé à l’extrême. Bien que reconnue pour sa qualité, la production du vétiver de la Réunion est devenue marginale en raison d’un manque de main-d’œuvre et de rendement, de la réduction des terrains cultivés et de la sécheresse. Le vétiver de la Réunion a été détrôné par celui d’Haïti.

L’essence de vétiver Haïti est boisée, fumée, un peu verte.

Les principales espèces de vétiver sont cultivées également dans d’autres régions d’Asie  telles que la Birmanie, le Népal, le Sri Lanka, la Chine et les Philippines, ou encore aux Comores, en Afrique du Sud, à Madagascar, ainsi qu’en Haïti, aux Antilles (Jamaïque) et au Brésil, mais la plupart de ces pays ne sont ne sont pas producteurs d’huile essentielle. Les propriétés autres qu’aromatiques de cette plante vivace sont utilisées, notamment dans le domaine agricole, car elle se révèle très efficace pour la fixation des sols et comme insecticide.

Aujourd’hui, l’huile essentielle est distillée principalement en Haïti, en Chine et à Java.

Haïti est le premier pays exportateur d’huile essentielle de vétiver dans le monde en quantité et en qualité devant la Chine et l’Indonésie, avec 74 tonnes en 2012, soit 50% de la production mondiale, au prix de 151 500 US dollars le kg. C’est le 2ème produit d’exportation après le café et avant la mangue. La France est le premier marché pour les huiles essentielles de vétiver, loin devant les USA, l’Espagne et la Suisse. Il faut 150 kg de racines séchées pour obtenir 1kg d’huile essentielle. La production mondiale varie de 120 à 150 tonnes métriques selon les années.

Sur le marché mondial, la demande en vétiver ne cesse de croître en raison de son parfum unique et de sa très bonne solubilité dans l’alcool. De plus, aucun substitut synthétique n’est disponible à ce jour, ce qui fait de cette matière première une ressource unique en parfumerie.

Cependant, bien qu’il n’existe pas encore de molécule de synthèse du vétiver, les parfumeurs ont réussi à identifier les principes aromatiques de l’huile essentielle que sont le Bêta vetivénène, alpha et bêta vetivones, le khusimol et l’isovalencenol. Par ailleurs, ils sont parvenus à synthétiser certaines molécules contenues dans le vétiver à partir de son huile esssentielle, telles que le vétiverol et vétiverone (alcools), et surtout l’acétate de vétiveryle utilisés en parfumerie fine.

Les créations olfactives qui ont fait découvrir le vétiver 

Le vétiver, racine aromatique amère, appartenant à la famille olfactive des boisés (boisé vibrant), est principalement utilisé dans les parfums masculins, plus rarement dans les parfums féminins.

Les cinq premières créations de référence à base de vétiver en « version fraîche» se distinguent de la période précédente des parfums pour hommes dont la fragrance fougère a été délaissée car empreinte d’une forte connotation savon et toiletterie (déodorant, lotion après-rasage).

  1. VETIVER de Carven créé par la société Firmenich en 1957 (Boisé*).

Le premier parfum masculin de fragrance vétiver est un parfum délicat, boisé : « Tout ce que j’aime est vert, disait Madame Carven, la nature, les arbres, la mer… ».

Aujourd’hui disparu, on peut le sentir à l’Osmothèque, exclusivement.

Outre les notes vétiver très présentes, des notes aromatiques composent un accord boisé particulièrement frais et élégant. Carven lancera à la suite une version féminine du VETIVER.

  1. 2.  VETIVER créé par Jean-Paul Guerlain en 1959 (Boisé épicé*).

Sans doute le plus connu des parfums contenant du vétiver est cette création magnifique de Jean-Paul Guerlain qui a montré, au travers de ses 43 créations olfactives, un penchant immodéré pour les matières premières naturelles.

Jean-Paul Guerlain signe avec VETIVER sa première œuvre olfactive, évoquant la dualité de la nature, les effluves de la terre après la pluie, l’air frais des petits matins, les volutes de tabac mêlées d’épices.

  1. VETYVER de Givenchy en 1959 (Boisé).
  2. VETYVER de Lanvin en 1964 (Boisé avec une facette hespéridée).
  3.  VETIVER de Le Galion en 1969 (Boisé).

Il est à noter que dès 1921 HABANITA  de Molinard (Ambré fleuri boisé*) révélait une composante évidente de vétiver.

Mais le tout premier parfum féminin composé de vétiver en note de fond est la création d’Ernest Beaux, le très fameux CHANEL N°5 en 1921. Il s’agit d’un fleuri aldéhydé*. C’est l’un des parfums les plus vendus au monde.

Dans le sillage du N°5, un second parfum féminin avec un fond vétiver est l’ARPEGE de Lanvin signé par André Fraysse en 1927, un fleuri aldéhydé* également.

En 1949, des accords boisés comprenant du vétiver ont été utilisés dans ACQUA DI SELVA de Victor (Boisé conifère hespéridé*).

DETCHEMA, lancé par le fourreur Révillon en 1953, est un fleuri aldéhydé*. C’était le parfum de la Callas. Aujourd’hui disparu, on peut le sentir à l’Osmothèque, exclusivement.

EAU SAUVAGE de Dior, créé par Edmond Roudnitska en 1966, un hespéridé fleuri chypré*, premier parfum pour homme de la marque, fait figure de nouveauté avec un accord chypré boisé composé d’une note boisée vétiver qui évoque les sous-bois humides.

INFINI de Caron, reformulation en 1970 de la création de E. Daltroff de 1912, un fleuri aldéhydé*.

LE BAISER DU DRAGON (2003, fleuri boisé) de Cartier, signé Alberto Morillas. est un bon exemple d’une façon de féminiser le vétiver grâce à des accents floraux et poudrés.

Les marques de niche : depuis quelques années, les marques de niche et les colllections exclusives se sont emparées de ce thème olfactif, en le parant de diverses notes, pour l’emmener vers de nouveaux horizons :

Des notes épicées et aromatiques pour VETIVER de l’Artisan Parfumeur en 1978 (Boisé aromatique*), des notes cuirées pour le VETIVER d’Annick Goutal en 1985 (Boisé épicé cuir*).

Dominique Ropion crée VETIVER EXTRAORDINAIRE aux Editions de Parfums de Frédéric Malle en 2002, en exploitant un procédé d’extraction qui limite les notes camphrées et permet d’utiliser l’essence de vétiver à des concentrations élevées. Sublimé par des notes hespéridées, il révèle une douceur ronde, épurée, tout en conservant la personnalité du vétiver, chaude, sensuelle, végétale et élégante.

En 1991, KENZO POUR HOMME est un boisé marin avec une facette vétiver.Hermès poudre son Vétiver en proposant une Hermessence, VETIVER TONKA (2004), aux accents gourmands, amandés et pralinés. L’accord pamplemousse-vétiver se révèle avec TERRE D’HERMES en 2006 (Boisé épicé*), à base de vétiver et bois de cèdre, créé par Jean-Claude Ellena, parfumeur en titre de la maison Hermès.

LE SEL DE VETIVER (boisé aromatique), de The Different Company a été créé en 2006 par Céline Ellena, fille de Jean-Claude Ellena : une création composée d’un accord floral sur fond de vetiver bourbon.

Lalique lance ENCRE NOIRE en 2006, un boisé* vétiver authentique, signé Nathalie Lorson, un masculin élégant et intemporel.

Trois ans plus tard, Lalique reprendra le thème du vétiver dans une fragrance féminine avec ENCRE NOIRE POUR ELLE, signé Christine Nagel : une eau florale, musquée et sensuelle.

Dans une nouvelle série consacrée aux jardins, Jean-Claude Ellena signe pour Hermès, UN JARDIN APRES LA MOUSSON en 2008, après Un Jardin en Méditerranée et Un Jardin sur le Nil. Cette fois, c’est en Inde, dans l’état du Kérala, que le parfumeur a puisé son inspiration : il veut capturer l’odeur de la nature renaissant après la saison des pluies … une fragrance hespéridée, verte et boisée avec des notes de tête épicées sur un accord de fond marqué d’une légère amertume et de l’empreinte fumée du vétiver.

Chanel propose avec SYCOMORE (Collection « Les Exclusifs », 2008) un vétiver complexe et élégant évoquant l’odeur des sous-bois en automne, signé Jacques Polge.

Dior suit la lancée avec COLOGNE VETIVER dans la collection « Couturier-Parfumeur », un vétiver presque « mono matière ».

CŒUR DE VETIVER SACRE de l’Artisan Parfumeur est lancé en 2010 par la marque comme parfum unisexe. Dans cette création, Karine Vinchon utilise le vétiver non pas comme matière première majeure mais en tant que support pour mettre en avant les accords dominants de ce parfum.

Depuis la fin des années 1950, plus de 300 parfums masculins et féminins ont habitué les amateurs de parfum à la note boisée de l’essence de vétiver toujours reconnaissable, même lorsque sa présence se limite à embellir des notes florales, épicées, poudrées pour donner naissance à des œuvres d’art olfactives aussi délicieuses qu’intemporelles.

Nombre de créateurs-parfumeurs ont été et sont encore fascinés par la richesse des nuances offertes par cette matière première dont les multiples facettes, à la fois terreuses et boisées, font que le vétiver à lui seul est un parfum. Un parfum qui fait merveille lorsqu’il rehausse une création olfactive originale.

Catherine Bala

* Classification Officielle de la Commission technique SFP

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